

article: "S'exercer à l'intelligence collective"

Bien entendu, il y a des contextes et des situations où la coopération se réalise de façon suffisamment juste et opportune.
Il est apprécié alors une efficacité certaine du travail collectif. Celle-ci est attribuée légitimement aux qualités individuelles des personnels concernés, aux pratiques de management des cadres hiérarchiques et à l’identité même de l’organisation.
Ces moments sont à valoriser et peuvent nous permettre de cerner les conditions favorables à une coopération (question du nombre de collaborateurs, dimension projet et objectifs, qualité du lien interpersonnel, style du leadership, supports de communication, …).
Mais comment faire lorsque ces conditions ne sont pas réunies ou que celles-ci s’emballent?
Comment agir, participer à/ou manager un collectif lorsqu’apparaissent ou s’ancrent des difficultés interpersonnelles, des stress, un contexte d’hostilité ou de crise institutionnelle?
Que faire lorsque les interactions entre équipiers portent en elles mépris, indifférences, victimisations et diabolisations, injures et humiliations?
Comment travailler dans un contexte d’opposition voire d’affrontement entre sous-groupes dans une équipe, entre clans?
Comment limiter la paranoïa d’un collectif quant aux intentions et pratiques de sa Direction?
Comment œuvrer lorsque les personnes ne partagent pas ou plus les informations dont elles disposent, nuisant ainsi à l’efficacité de l’équipe voire à la santé de l’organisation ?
Le trait peut paraitre forcé. Certains connaissent le tout de ces questions et bien d’autres encore, là où d’autres ne traversent que partiellement celles-ci, ces difficultés se réalisant de façon plus ou moins subtile.
Dans ces contextes et situations, chacun peut être régulièrement renvoyé à des sentiments désagréables de solitude, d’incompétence, d’impuissance,…
Pour donner réponse à ces défis, certains opteront pour la réalisation de stages et expériences collectives positives ayant pour visée de remotiver et de réunifier les «troupes».
D’autres s’attacheront à garantir la formation des personnels concernés à la bonne communication et la bienveillance.
Et les derniers seront légitimement tentés de faire taire «ceux qui dépassent» avec autoritarisme et bâton, quitte à nommer voire faire sortir les «mauvais».
Toutes ces solutions ont en commun de ne pas traiter le réel et ses difficultés, au risque que le problème ne fasse que se déplacer, se transformant et s’amplifiant au fil des situations. Ces solutions partielles aménagent et mettent en scène des morceaux du réel (camp, formation à la «communication efficace»,…) voire le simplifient (bouc-émissaire). Toutes ces actions participent à entretenir la difficulté plus qu’il n’y parait, puisqu’elles déresponsabilisent globalement les professionnels dépendants du bon expert ou du bon chef, qui seul sait.
Tous ces gens sont capables de communication, de relation et de coopération.
Ce qu’ils sont et ont appris à être, ce qu’ils font et ont appris à faire, leurs interactions dans un certain contexte, créent de la difficulté.
C’est bien le traitement et non l’évitement de ces obstacles qui est porteur de changement.
Ma pratique, tant sur le plan conseil que formation, consiste à accompagner une action correspondant à l’activité d’un collectif et d’une organisation (ex: la rédaction d’un projet de service, la mise en place de nouveaux partenariats, la réorganisation d’un pôle d’activité, la prise de décision en équipe de cadres, les nouvelles orientations d’un conseil d’administration,…).
Je fréquente alors un collectif désireux ou non de se former et d’élaborer au sujet d’une question ou d’un objet professionnel spécifique.
L’acte fondamental consiste à favoriser une première expression et traiter des motivations et des démotivations des participants à l’action de conseil ou de formation, comme état initial du groupe.
Cette phase participe à la constitution du groupe de travail et la définition d’objectifs communs.
En tant qu’intervenant, je peux dans nombre de situations avoir une connaissance certaine de la question traitée ou de l’objet concerné, mais mon expertise se situe particulièrement en termes de mise en œuvre et garantie d’une coopération dans le groupe de travail, quel qu’il soit.
Autrement dit, je n’ai pas à tout savoir sur la question, je peux connaitre cette question et avoir un point de vue à propos de celle-ci, point de vue qui n’a pas à triompher.
Je considère surtout que les professionnels présents qui ont à se fréquenter et se garantir une efficacité dans l’action portent en eux des connaissances, des informations (sur la pratique, le collectif de travail, l’environnement institutionnel et social…) qui sont insuffisamment partagées, ou qui, si elles le sont, sont déformées par les enjeux relationnels et institutionnels.
La mise en œuvre d’un cadre favorable à une parole libérée et l’accompagnement de celle-ci vont alors permettre aux membres du groupe de se resituer dans leurs responsabilités et le partage de véritables informations-clés pour l’action.
De ces informations et de l’état réel de confiance et d’estime partagé ou retrouvé entre ses membres, le groupe s’engagera dans une co-élaboration et la programmation d’actions correspondant aux objectifs énoncés.
Au sujet de ce que nous nommons coopération, il nous faut considérer qu’il n’y a pas de modèle de coopération, déclinaison d’une vision idéale du travail de groupe.
La réalité de ce qu’est un groupe de travail invite à reconnaître la coopération comme un processus, toujours vivant, tributaire des personnes qui le constituent, des interactions entre ses membres et du contexte au sein duquel ce groupe évolue.
De même que l’état de santé parfait n’existe pas, la coopération parfaite d'un groupe n'existe pas. Ce sont l’exercice et l’expérience renouvelée d’une réelle coopération dans un groupe de travail , avec ses forces et ses empêchements, qui permettent à celui-ci d’accéder à une positivité d’adhésion et d’action, au bénéfice de l’organisation.
Jérome Voisin, septembre 2012
intervenant en Thérapie Sociale