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article: " La justice restaurative "

J’ai assisté le Mardi 24 Juin à Dijon à un colloque très interessant portant sur la Justice restaurative définie comme « une réponse systématique au délit qui renforce la guérison des lésions des victimes, des délinquants et des communautés, causés ou révélés par le délit » (www.justicereparatrice.org).

Il s’agit de rompre avec la logique punitive du type : « Tu as fait quelque chose de mal, on va te faire du mal » : humiliation, culpabilisation, traitement par l’indifférence…

 

Il y a une opportunité à penser et mettre en œuvre cette justice restaurative en France. Nous sommes dans un temps de volonté politique, d’expérimentation et de renforcement de cette visée par le législateur.

Comment passer de l’expérimental à une véritable réforme sociale dans ce registre ?

 

Les participants au colloque ont attribué les difficultés et résistances liées à cette réforme aux médias et aux manques d’éducation des masses. Les propos des intervenants et les échanges avec la salle s’accordaient sur ces points. Pourtant, à la sortie, une discussion engagée avec quelques participants m’a permis d’entendre des doutes persistants sur l’utilité de sortir de la justice punitive.

Nous sommes sans doute nombreux à avoir reçu un message éducatif tel que « si tu fais du mal, tu seras puni » et nous adhérons donc à une idéologie de la punition. Et plus nous montons dans les degrés de mal, plus il est compliqué d’imaginer s’extraire des logiques punitives. Il devient invraisemblable de priver l’auteur du délit ou du crime d’une punition forte. Il y a une réelle difficulté dans ce registre.

 

A un autre niveau, pour éviter que cette question et cette visée restent entre gens convaincus, il n’est pas aidant que ces derniers traitent avec mépris les gens qui adhèrent à la logique punitive. Il s’agit également  me semble-t-il de ne pas mettre en concurrence (même malgré soi) l’environnement « justice » avec d’autres environnements souffrants.

Les résistances concernant l’instauration d’une justice restaurative sont, de mon point de vue, d’abord l’expression d’un problème d’expérience, d’apaisement des uns et des autres à propos de l’idéologie de la punition, du rapport au mal et au bien, des rapports aux blessures et aux souffrances et de comment celles-ci concernent aussi les auteurs de délit.

 

Je suppose que beaucoup d’entre nous ne sont pas suffisamment apaisés dans nos rapports aux gens qui ont pu nous faire du mal, dans nos blessures mais aussi l’aspect souffrant de ceux-ci.

Nous enfants, nous avons été punis dans nos familles, à l’école, de façon même disproportionnée et injuste parfois. Adultes, nous continuons de faire l’expérience de sanction-punition dans nos relations de couple, nos environnements de travail, nos relations sociales et amicales, s’exprimant par des discrédits, des rejets, des exclusions, des humiliations, des agressions, des « mises au placard », des culpabilisations. Et enfant comme adulte, on a pu à différents moments nous refuser le droit de souffrir, nous « bâillonner » à propos de ce qui fait mal, ne pas nous reconnaitre en tant que victime. Nous actons (même malgré nous) aujourd’hui ces pratiques de punition et ce refus de la plainte dans l’éducation de nos enfants, dans nos vies personnelles et professionnelles.

Il est donc dans ce registre difficile de voir l’inadéquation et la disproportion de la punition. Nous remettons à l’œuvre avec d’autres et organisons notre vie sociale, notre justice, à partir de nos expériences de punitions.

 

Sachant que la prison, pour la plupart, ne permet pas le changement, l’apaisement, elle est un lieu d’humiliation, de contrainte physique et émotionnelle. Elle est un lieu où on fait mal, autrement dit un lieu où on rajoute de la blessure.

 

Si les gens sont privés d’espace où eux-mêmes peuvent voir ce qui les fait souffrir, ce qui peut les blesser, ce qui génère du stress, ce qui les coupe de leur vie, leur part victime, les responsabilités dans lesquelles ils sont, dans tous les environnements qui sont les leurs (famille, école, travail…), il leur est difficile de reconnaitre l’opportunité de ces espaces pour des personnes condamnées pour des délits ou crimes. Les peines se réalisant dans une dimension de réparation-restauration sont alors

perçues comme des évitements, une justice  « molle ». « Il faut qu’ils souffrent ! » pourrait-on dire !

 

L’auteur du délit ou du crime découvre et s’imprègne des effets pathogènes de la prison. Il y entretient ou risque d’y entretenir des relations fondées sur des rapports de force ; il y renforce son masque de fort, son blindage et ses conduites violentes ; il y partage une colère destructrice contre la société, la justice ; il créé des alliances, des clans entretenant leur victimisation et la diabolisation d’autres ; il se blinde sur le plan émotionnel ; créé de nouvelles opportunités délinquantes ou criminelles ; il se coupe de relations sociales et affectives fondamentales ; il s’y disqualifie et s’éloigne donc d’une visée d’insertion professionnelle réelle.

 

La justice restaurative ne consiste pas à donner aux auteurs de crimes et délits des espaces de restauration, d’estime, de réconciliation, de renforcement d’eux-mêmes et de leurs liens avec les autres motivés par une sympathie « gauchiste » à leur égard. Ces espaces sont pensés en tant que peines-sanctions et peuvent tout à fait se réaliser sous la contrainte. Le premier acte des accompagnants consistera à faire émerger une adhésion suffisante à l’exécution de cette peine chez le condamné.

 

La dimension restaurative de cette justice peut être exercée à tous les niveaux, de la garde à vue à l’audience, de l’exécution de la peine au suivi et à l’accompagnement à la réinsertion des auteurs de crimes et délits, et dans l’accompagnement des victimes.

Appliquée à la peine, elle peut prendre la forme d’une thérapie des conduites violentes et délinquantes et de leurs effets où auteur et victime vont pouvoir se restaurer. Ma pratique a cette visée. Là où des histoires et des événements blessent, cassent, traumatisent, il y a une possibilité pour que ces personnes reprennent place dans une vie individuelle, collective et sociale reconnue, plus apaisée.

 

Jérome Voisin, intervenant en Thérapie Sociale, I-CARE, 2014

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