


"La Thérapie Sociale est une méthode transdisciplinaire d’intervention et de formation transformant les cadres et pratiques habituels pour proposer à la fois une psychothérapie du lien, une éducation à la vie démocratique et l’émergence de l’intelligence collective pour résoudre les problèmes de société les plus complexes".
Qu'est-ce que la Thérapie Sociale ? Une pensée, une pratique et une pédagogie
1) une nouvelle forme de psychothérapie:
Des phénomènes conservateurs voire pathologiques travaillent les groupes, qu'on peut travailler en leur sein. C'est le rôle du psychothérapeute comme « guérisseur blessé ».
2) une éducation à la démocratie:
La Thérapie Sociale est une éducation à la démocratie, la citoyenneté participant ici d' « un savoir-être où l'objectif consiste à amener chacun à transcender les rapports de forces pour situer les échanges dans la sphère de la raison » (Donzelot, 2003, p. 220). Il s'agit de prendre soin de la vie émotionnelle en nous pour que notre raison critique soit de moins en moins manipulée par cette vie – qui continuera de la teinter.
« On ne fera pas reculer la barbarie, la destructivité humaine par des exhortations et des incantations. La barbarie est fille de la peur, cette peur qui nous habite quand nous errons seuls dans un monde peuplé d'ennemis. La violence, elle, est fille de l'impuissance. Cette impuissance issue de notre difficulté à vivre l'errance dans un monde complexe et travaillé par des exigences contradictoires : sécurité et liberté ; foi et raison ; science et tradition ; égalité et développement. Nous ne pourrons assumer et vivre ces contradictions et cette errance qu'en partageant nos connaissances mais aussi nos ignorances, notre intelligence mais aussi nos passions. Nous ne pourrons échapper à la barbarie que par un redoublement de nos facultés de sociabilité. Le XXIe siècle sera le siècle de l'apprentissage démocratique ou il ne sera pas. »
— Rojzman, 2014
L'idéalisation de la démocratie empêche de voir la nécessité d'éduquer les citoyens à l'esprit critique. La démocratie n'est pas un acquis, mais un horizon à rejoindre, où maximiser les potentialités de chacun et de tous à participer à la vie de la Cité. On trouve ici l'inspiration spinozienne d'une lutte contre la domination de l'homme par l'homme :
« On ne peut politiquement éviter ou enrayer cette domination qu'en s'appuyant sur le jeu organisé de la diversité des opinions, des passions et des institutions de contre-pouvoirs, donc sur des conflits qui sont à la fois inévitables et nécessaires pour la liberté de tous dans et par la liberté commune. En s'appuyant même, s'il le faut, sur la ténacité des haines... »
— Bove, 2013, p. 10
3) un dispositif de résolution de problèmes complexes
La Thérapie Sociale s'applique dans tous les contextes, tous les milieux, partout où les gens n'arrivent pas à travailler ou vivre ensemble et doivent le faire : relation quotidienne (dans les nouveaux territoires urbains appelés quartiers d'habitat social par exemple[3]), éducation à la vie démocratique (comme après le drame du génocide rwandais[4]), pédagogie[5]. Qu'il s'agisse de la politique de la ville (Donzelot, 2003, p. 220), de la justice transitionnelle et de la réconciliation (Staub, 2011, p. 485-486) ou de l'école (Rothenbühler I., 2011), la Thérapie Sociale vise à reconquérir une autonomie dans l'appréciation et la résolution des problèmes de violence (« scolaire », « urbaine », « politique », etc.), par l'encapacitation des individus et des groupes, plus précisément des individus dans le potentiel de transmutation du groupe. Au travail (Rothenbühler I., 2014), dans le couple ou la famille (Rothenbühler N., 2013), dans le « faire société », partout où de l'inter-personnel, l'implication, entrent en « crise », le sens se cherche plutôt dans les relations (Picard et Marc, 2012, p. 75). Pratiquement, la Thérapie Sociale réunit autour de la table toutes les parties en conflit pour la recherche d'une solution concertée au problème collectif qui fait souffrir tout le monde.
Les grands principes:
1) La posture : un guide qui ne sait pas
« Il ne suffit pas d'exprimer le malheur pour en être délivré. Il ne suffit pas de partager sa souffrance pour que tout soit réglé. Encore faut-il que ce partage permette de soutenir l'activité de penser. »
— Delage, 2007, p. 165
L'individu vit dans des groupes qui métabolisent sa problématique, et dont les modifications vont, plus que sa volonté propre, le faire évoluer, l'ouvrir à de nouvelles idées et réalités. Le collectif tient d'abord dans la multiplicité d'échanges et de circulations imperceptibles : ambiance, tacite, transports d'affects. çà et là, un quelque chose se trame. Le thérapeute est ici garant de cette incertitude concertée en travaillant la porosité de la frontière au soin. Car il y a d'autres sphères du vivre que le corps humain qui peuvent tomber malades : l'égoïsme généralisé, le manque de sens ou une image dévalorisée de soi, la paranoïa sont des affections qui attaquent les sphères du vivre ensemble constitutives de ma personne en tant que j'ai à la devenir.
Le travail sur soi du thérapeute est infini : être au service de l'ensemble, donner aux gens suffisamment de sécurité et d'amour, pour pouvoir prendre le risque de montrer tout ce qu'on est dans sa vie. Savoir où on doit arriver n'est pas savoir comment, qui dépend de la vie du groupe et des manifestations de chacun. Travailler sur soi permet cette sorte de spontanéité exempte de l'esprit de manipulation et de la violence : d'où que le thérapeute ne doit pas forcer sa conduite, mais s'observer lui-même dans le processus qui prend le groupe, avoir une attention suffisante à la multiplicité des affects qui saisissent chacun, et à la diversité concrète dont ces affects nous pénètrent. Tout ce qui est pensable n'est pas bon à vivre, mais il faut pouvoir en faire l'expérience pour penser la vie.
2) Se soigner soi-même avec les autres
En Thérapie Sociale, coopérer c'est :
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créer un espace où les gens peuvent servir de miroir,
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créer le cadre où les gens arrivent à travailler ensemble, et où le thérapeute peut travailler avec tout le monde,
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expérimenter à partir des relations « pacifiées » mais avec « l'émotion » (la découverte de son « ombre »).
Quand les gens commencent à pouvoir reconnaître qu'ils sont dans une posture de victimisation s'initie le changement – une sortie du fantasme en quoi consiste l'accès à la réalité sur laquelle on va pouvoir agir. La complexité, c'est une cohérence non-manichéenne, qui contient de l'ambivalence, de la contradiction.
3) Transformer la violence en conflit
L'autre comme objet, inférieur, cause de nos malheurs, irrécupérable, diabolique, produit une action : la maltraîtance (faire du mal à l'autre), l'humiliation (l'autre comme inférieur, nul ou méprisable), l'abandon (l'autre ne mérite pas notre intérêt) et/ou la culpabilisation (uniquement l'autre est responsable).
« Les émotions et la formation intimes et personnelles sont ces micro-outils intermédiaires, ces institutions intimes qui font la force et la puissance de notre capacité de médiation, de filtrage, de réception, mais aussi d'accueil du milieu, et donc d'inscription de l'autre. »
— Pain, 2003, p. 174
Être capable de combattre sans violence ce qui empêche la créativité collective est rendu possible si on est conscient des transferts dans le groupe, si on arrive à faire « jouer l'opposition entre le conflit associé à la souffrance et le savoir associé à la reconnaissance mutuelle » (Donzelot, 2003, p. 220)[6], si on est capable d'entretenir un niveau de confiance autour de ce que la victimisation crée comme violence chez l'autre. Dès lors, le conflit est plutôt ici l'alternative à la violence (et, en ce sens, une notion originale et unique en psychothérapie).
« On cherche même à transformer la violence en conflit, avant de chercher à la réduire ou à la supprimer. Mais il importe bien de distinguer ces deux termes : dans la violence, l'autre est déshumanisé ou diabolisé ; dans le conflit, il reste un être humain dont on peut prendre en compte les besoins et les points de vue, tout en étant en désaccord avec lui. Le conflit peut s'exprimer avec agressivité, comme la violence, mais il représente une véritable confrontation des points de vue, des valeurs et des émotions. »
— Rojzman, 2009, p. 183
Le changement individuel et les changements institutionnels[modifier | modifier le code]
S'intéresser autrement au discours de l'autre est fonction de la plasticité dans l'articulation du désir et de l'institution. On peut souhaiter que la coopération amène des changements de l'institution, mettre les gens en capacité d'agir sur leur environnement et que le cadre préserve la santé psychique des individus.
« Être attentif à tous les facteurs de culpabilisation ; être attentif à tout ce qui bloque les processus de transformation du champ subjectif » pourrait être la règle numéro un de ce que nous pouvons nommer avec Félix Guattari une « micropolitique » (Guattari et Rolnik, 2007, p. 190). La Thérapie Sociale se présentant comme une éducation à la vie démocratique, avec les transformations profondes que cela implique dans les modes de vie, elle rend nécessaire une nouvelle relation à l'autorité. L'individu s'engage dans un type de relation plus coopérative avec l'autorité qui accepte d'être faillible. De fait, « qui est suffisamment respectable aujourd'hui pour s'ériger en défenseur de valeurs absolues dont il serait possesseur légitime ? La réponse à ce genre de questions n'est pas simple. Nous avons besoin de tenir à certaines valeurs : le respect de l'autre, la sociabilité, la justice, tout ce qui fonde la vie commune. Mais peut-être devrions-nous concevoir le développement humain de façon moins linéaire, avec une meilleure conscience de nos propres déviances, de nos propres errances et de nos propres régressions, en gardant à l'esprit que l'incertitude est devenue notre destin. Il est certain que ni la peur ni le mépris ne nous donneront les clés de cette écoute indispensable, qui ne relève pas seulement d'un impératif de tolérance. »
— Rojzman, 2003, p. 12
Références
Bier, Bernard, 1999, « Charles Rojzman (avec Sophie Pillods) - Agir autrement contre le racisme et la violence », Agora débats/jeunesses, no 15, p. 139-140 [lire en ligne].
Bove, Laurent, 2013, à propos de Milner et Spinoza, La Revue des Livres, no 13.
Delage, Michel, 2007, « Résilience dans la famille et famille résiliente », in Aïn, Joyce (dir.), Résiliences. Réparation, élaboration ou création ?, Paris, Érès.
Donzelot, Jacques, 2003, Faire société. La politique de la ville aux États-Unis et en France, Paris, Seuil, coll. « La couleur des idées ».
Dorra, Max, 2005, Quelle petite phrase bouleversante au cœur d'un être ? Proust, Freud, Spinoza, Paris, Gallimard, coll. « Connaissance de l'inconscient ».
Guattari, Félix et Rolnik, Suely, 2007, Micropolitiques, Paris, Les empêcheurs de penser en rond (1re éd. brésilienne 1986).
Pain, Jacques, 2003, « La pédagogie institutionnelle de Fernand Oury », Chimères, no 49 : « Désir des marges / Soigner les institutions ».
Picard, Dominique et Marc, Edmond, 2012, Les conflits relationnels, Paris, P.U.F., coll. « Que sais-je ? ».
Rojzman, Charles, 2003, préface à Repris de justesse de Yazid Kherfi et Véronique Le Goaziou, Paris, La Découverte, coll. « Poche » (1re éd. 2000).
Rojzman, Charles, 2009, Bien vivre avec les autres. Une nouvelle approche : la thérapie sociale, Paris, Larousse, coll. « L'univers psychologique ».
Rojzman, Charles, 2014, « Face à Dieudonné, une thérapie collective ? », Le Huffington Post, 20 janvier [lire en ligne].
Rothenbühler, Igor, 2011, « Favoriser le bien-être des acteurs : thérapeutique du lien, pédagogie du conflit », in Pierre-André Doudin, Denis Curchod-Ruedi, Louise Lafortune, Nathalie Lafranchise (dir.), La santé psychosociale des enseignants et des enseignantes, Québec, Presses de l'Université du Québec, coll. « Éducation-intervention ».
Rothenbühler, Igor, 2014, « Former au conflit, condition de la coopération », Non-violence Actualité, no 333 : « Agir contre la violence au travail ».
Rothenbühler, Nicole, 2013, « "Thérapie sociale" : soigner la relation pour prévenir la violence », Non-violence Actualité, no 326 : « Conflits dans la famille : quels outils d'aide ? ».
(en)Staub, Ervin, 2011, Overcoming Evil : Genocide, Violent Conflict, and Terrorism, New York, Oxford University Press.
La Thérapie Sociale


