top of page

article: "L'adolescent à l'épreuve du lien social (2)"

Face aux violences, les adolescents (et avant eux les enfants), vont disposer de réponses typées. Ces réponses apprises dans l’enfance et ses expériences pourront être articulées entre elles.

En fonction des valeurs et comportements appris dans la famille mais aussi tous les autres milieux dans lesquels enfant il a évolué, l'adolescent va agir et réagir aux situations qu’il rencontre.

 

Par exemple, si enfant il lui a été rappelé qu’il est interdit de taper, de se battre (parfois avec force et violence, d’où le paradoxe, puisque soumis à la violence physique des adultes), l’adolescent pourra être, en situation d’agression physique ou dans un contexte favorable à ce type d’agressions, incapable de ré-agir face à un autre menaçant ou agresseur. Il pourrait être saisi d’une peur paralysante.

Il y a là comme une règle intérieure qu’il ne peut transgresser, ou inversement, qu’il va transgresser adolescent avec excès, devenant à son tour agresseur.

 

Il s’agit de distinguer l’agression réelle, un climat réel d’agression (perception fondé sur des vécus) et un climat fantasmé d’agression (imaginé par celui qui a eu à subir par le passé des agressions), tout trois générant des craintes et donc des comportements « adaptés » chez l’adolescent.

 

En cas d’agression réelle, on peut imaginer que ne parvenant pas à retourner cette violence sur son agresseur, l’adolescent pourrait ré-agir celle-ci contre lui ou encore contre d’autres « moins dangereux » tel qu’un petit frère, une petite amie, un parent.

Il pourra également se mépriser, s’oublier ou culpabiliser de ce forfait. Cette agression risque de développer chez celui qui l’a subi un sentiment dépressif (je ne m’aime pas, je n’y arrive pas), ou sociopathe (les gens sont mauvais, ils ne valent pas la peine, je ne m’occupe que de moi) ou encore paranoïaque (il y a du danger partout) (concepts développés par Charles Rojzman in "La Thérapie Sociale", éditions Chronique Sociale, 2015, p 61 à 67).

 

Il va généralement développé dans le même temps d’autres stratégies tel qu’adopter un masque social.

Ce masque, aux multiples facettes, a une double fonction : se présenter dans l’espace social, personnifier, et se protéger face aux risques sociaux.

 

Certains opteront pour des masques de « martien », de lunaire, d’intello, de mouton ou de souris, y associant un message du type  « ne me faites pas de mal ».

D'autres choisiront des masques de «mauvais garçons », de loups, de vipères, de rapaces, de bulldozers, doublés de message du type « faut pas me chercher ! ».

 

A ces masques correspondent des valeurs, des langages, des postures, des comportements, un style vestimentaire, des gadgets… et plus le masque a fait ses preuves, plus l’adolescent va installer celui-ci dans ses conduites, au risque même qu’il finisse par se confondre avec son masque.

 

Rappeler cette confusion entre l’adolescent et son masque voire son armure, c’est réaffirmer la distinction entre ce qu’il donne à voir et son état réel, ses besoins, les craintes initiales, les violences subies et les blessures de ces adolescents.

Tous, avec leurs stratégies diverses et variées, peinent à être et exister de façon apaisée.

 

Puis les loups vont se réunir, marquer un territoire et roder, distinctement des souris cherchant à passer inaperçues. Parfois une souris s’accommodera dans un groupe de loups, ou inversement. C’est la recherche d’appartenance. Les adolescents cherchent à combler leur besoin d’amour, de lien, mais aussi de reconnaissance et de sécurité (Winnicott).

C’est la satisfaction de ces besoins fondamentaux qui poussent les adolescents à se rassembler. Je suis apprécié pour ce que je suis (ou du moins ce que je montre de moi et qui ressemble à d’autres, taisant ce qui m'en distingue et pourrait me faire exclure), je suis reconnu comme membre du groupe et je suis plus en sécurité avec d’autres.

 

Selon les adolescents, ces besoins vont être plus ou moins importants. Donc l’importance du rapport au groupe et le type de groupe  vont différer également selon chaque jeune et les niveaux de besoin qui sont les siens.

Chaque groupe va se forger et développer ses stratégies pour exister et permettre à chacun de ses membres d’exister.

Plus l’environnement est ou apparaît aux membres du groupe comme non favorable voire hostile, plus le groupe va chercher à être fort, dans une inconditionnalité du lien, dans une fermeture plus ou moins accentuée par rapport à tout ce qui est extérieur.

 

Ces groupes peuvent aller jusqu’à une forme d’embrigadement de leurs membres où ceux-ci ne pensent que par le groupe, ses leaders et doivent sans cesse montrer leur soumission et adhésion à ceux-ci.

Il y a alors un cloisonnement fort entre l’expérience du groupe et l’expérience individuelle de chacun de ses membres.

 

L’intensité du besoin d’appartenance et de l’implication dans des groupes plus ou moins fermés va différer selon les niveaux de craintes et de blessures que portent les adolescents.

 

Ce besoin d’appartenance qui lui-même correspond aux besoins de lien, de reconnaissance et de sécurité, va être traité par l’adolescent en fonction des offres liées à son environnement.

L’adolescent découvre alors des groupes de type amicaux, affinitaires, des groupes de pairs regroupant des jeunes du même territoire, de la même école ou de la même classe, par préférence musicale, par pratique sportive ou culturelle, par appartenance ethnique, par conviction politique ou religieuse.

Mais il peut aussi accéder à des groupes structurés, organisés autour de doctrines politiques, religieuses, militantes, autrement dit des groupes idéologiques, au sein desquels il retrouvera également des rapports à l’autorité (l’adolescent cherchant ici une autorité « réparatrice », idéale, ou encore visionnaire).

Garantir l’offre diversifiée de « groupes » sur les territoires de vie des adolescents parait donc primordiale.

Tous ces types de groupes peuvent avoir une positivité pour l’adolescent y participant. Ils répondent globalement à ces besoins, palliant le risque de souffrir d’isolement.

Ils lui permettent de s’exercer à des liens multiples et à une certaine coopération. Il convient de rappeler ici que ces groupes sont souvent constitués de personnes ayant les mêmes types de blessures ou de souffrances.

Dans tous ces groupes apparaissent néanmoins des difficultés ou insuffisances dans les relations entre leurs membres et donc des obstacles dans la réalisation de leurs objectifs. L’adolescent va alors affiner ses liens, créant des sous-groupes ou recherchant des relations plus exclusives avec certains des membres.

 

L’adolescent va s’attacher à porter un regard positif voire idéalisé sur ce qu’il est et sur ceux qui lui ressemblent et lui sont proches (amis, membres de groupes affinitaires ou structurés).

Pour tout ce qui lui arrive de négatif, de compliqué, pour tout ce qu’il n’arrive pas à faire ou être, il aura tendance à déterminer des responsables qui lui sont extérieurs.

Dans la relation interindividuelle, un ancien ami vu comme « traitre », des  « jaloux », un prof mal intentionné, des parents incompréhensifs, etc.

Et au niveau collectif, il ciblera des camarades de groupe insuffisamment impliqués, un mauvais leader ou chef, d’autres groupes concurrents, l’indifférence des responsables politiques ou encore un contexte local ou social défavorable ou hostile.

C’est ce que nous appelons en Thérapie Sociale, une victimisation. L’adolescent attribue la responsabilité des difficultés auxquelles il est confronté à d’autres et considère qu’il ne peut rien à ces situations.

 

L’adolescent, par la fréquentation de groupes divers, va adhérer plus ou moins à des victimisations collectives.

Dans ses groupes, il va entendre des points de vue spontanés ou élaborés (en rapport avec les doctrines précédemment citées) sur ceux qui empêchent le groupe et ses membres de se réaliser. C’est de la faute des parents, des profs et de l’école, d’autres groupes adolescents ou des groupes adultes, d’autres groupes idéologiques.

 

Selon les blessures des uns et des autres, selon la force d’adhésion voire de soumission au groupe, ces victimisations peuvent conduire à nommer une « figure du mal », dont la présence récurrente empêche toute évolution.

 

Le groupe peut alors s’organiser autour d’une lutte contre ce mal, devenu bouc-émissaire. Dans ce type de groupe, l’adolescent se doit d’adhérer au discours et conduites de ses membres et plus particulièrement de ceux qui y font autorité, d’exercer une solidarité inconditionnelle avec ceux-ci, au risque qu’il se mette en difficultés ou en danger, au nom du groupe.

 

 

 

Jérome Voisin, i-care,  intervenant en Thérapie Sociale, 2013

 

Nb : les idées et notions développées dans ce texte sont issues de la pensée de Charles Rojzman et participent du processus de Thérapie Sociale

bottom of page