

article : "Le groupe dans le travail socio-éducatif"
Les professionnels de l’éducation, du travail éducatif et social sont massivement formés et qualifiés. Ils disposent individuellement de savoirs faire précieux pour leur pratique.
Leurs services et établissements ont largement formalisés leur activité.
Projet associatif, projet d’établissement ou de service, et projet personnalisé organisent, guident et rythment l’intervention des professionnels au bénéfice des personnes accompagnées (enfants, jeunes et adultes).
Il y est sujet des cadres politiques et juridiques de l’intervention, des valeurs, des compétences et expertises du lieu et des professionnels, des modalités d’organisation et plus globalement de l’offre de service en rapport, tant que possible, avec les besoins des personnes.
A travers cette lecture par « le projet », nous pouvons distinguer différents endroits du travail éducatif et social : l’institution (inspirée par le projet politique et social), l’établissement et la personne usager du service.
Tous ces niveaux font partie de la réalité et il parait aujourd’hui particulièrement opportun de donner une forme et un contenu à chacun d’entre eux.
En terme de lisibilité et d’élaboration de l’activité, une grande absente m’interpelle : la vie collective, sous toutes ses formes : le collectif professionnels+publics, le groupe d’usagers (d’autant plus prégnant s’il s’agit d’un internat) et l’équipe de professionnels.
Formaliser l'institution, l'établissement et l'accompagnement individuel sans prendre soin de la vie collective, du groupe, de l'équipe, c’est un peu comme si nous empilions des textes sans leurs contextes ! Nous simplifions la vie, la réduisons à sa part idéale (des valeurs, une éthique, des ambitions, des concepts, des projets et une responsabilité individuelle).
Oui la dimension collective est une part complexe et souvent compliquée du travail éducatif et social, de la vie institutionnelle, de la vie professionnelle et de la vie sociale. Au point que quand un groupe trouve un équilibre relationnel suffisant, même momentané, chacun s’arrange pour ne pas y toucher.
Oui la dynamique, ou l’absence de dynamisme de groupe freine, parasite voire paralyse souvent ce qui avait été pensé et écrit dans nos projets. Cela nourrit du ressentiment, de l’isolement, de la fatigue qui peut se transformer en mépris, en haine, en dégoût et en épuisement.
Oui le cumul de personnes blessées, cassées, handicapées, souffrantes et violentes rend difficile l’approche du travail avec le groupe. Et bien souvent, nous détenons à ce propos de multiples diagnostics, expertises, explications disciplinaires, mais sommes dépourvus de moyens d’agir avec ce groupe pour concourir à l’amélioration véritable des situations.
Nous nous habituons donc à vivre dans des groupes et des climats de vie collective qui peuvent être difficiles, stressants, violents.
Et pourtant, c’est bien ce travail avec les autres, dans notre réalité, qui peut seul garantir une réussite du projet, des projets.
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Si un enseignant-un formateur dédaigne s’occuper de ce qui se passe dans son groupe-classe, centré sur ce qu’il a à transmettre, il favorisera le conformisme de certains élèves, la rébellion d’autres, des violences entre eux. Il peut être sensible à cette question, expérimenter sur le plan pédagogique des activités qui soutiennent l’apprentissage par le groupe ou visent à limiter les parasitages du groupe. Il peut aussi faire l’expérience douloureuse et pénible de l’impuissance face à un groupe.
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Si un éducateur élabore un projet individualisé pour un jeune en considérant insuffisamment son environnement, il tronque la réalité et met en péril ce projet. Les groupes auxquels participe ce jeune (famille, amis, collectif d’internat…) peuvent être autant obstacle que soutien à son projet. L’éducateur s’entraine à mieux prendre en compte ces groupes dans son accompagnement du jeune. Il parait fondamental de continuer à renforcer sa capacité à agir et travailler avec ces groupes, dans la diversité de ceux-ci.
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Si un directeur d’établissement souhaite actualiser son projet et le faire sans son équipe, ou de façon marginale, parce que cela va plus vite ou que le climat de travail collectif rend difficile cet exercice, il sera seul à porter celui-ci et devra supporter les discrédits frontaux ou subtils de ce projet et de son auteur.
Former, restaurer et renforcer le pouvoir d’agir de tous les encadrants du milieu éducatif et social (toutes fonctions confondues) avec les groupes qu’ils ont à fréquenter, piloter, accompagner, animer, c’est favoriser des espaces de vie et de travail collectifs plus coopératifs, moins violents, plus authentiques, plus efficaces, au bénéfice des publics accueillis mais aussi de la santé des professionnels.
Jérome Voisin, intervenant en Thérapie Sociale, I-CARE, 2014
