

Quel superviseur pour l’analyse des pratiques professionnelles ?
Quels sont les types de superviseur pour l'analyse des pratiques professionnelles ? Quelles sont leurs spécificités et complémentarités ?
Les espaces de médiation tels que l'analyse des pratiques professionnelles peuvent être précieux et opportuns pour les professionnels, leurs équipes et leurs institutions.
Ces espaces peuvent servir différentes dimensions et le choix du superviseur apparaît à ce titre déterminant.
L'analyse des pratiques professionnelles peut être me semble-t-il, assurée par deux types de superviseur. Ma pratique professionnelle d'abord d'éducateur, de formateur puis d'intervenant en Thérapie Sociale me fait les distinguer par un titre indiquant leurs posture et pratiques :
1. Un superviseur-expert, au service de l'apprentissage
Dans un certain nombre de lieux, le superviseur-expert peut être tout à fait opportun.
D'abord si c'est la demande et l'exigence même des professionnels concernés, de leurs enjeux et de leurs milieux.
Une équipe peut vouloir trouver en son superviseur une expertise de son champ d'activité et de ses pratiques. Ce superviseur-expert servira alors de figure de contrôle et d'étayage.
Son leadership est statutaire et ancré sur des compétences spécifiques.
Il est sollicité à propos de problématiques en rapport avec cette expertise.
C'est son expertise qui fait cadre à l'instance d'analyse des pratiques des professionnels. Il supervise ce qui est dans le cadre de son expertise.
L'objectif de l'instance et du superviseur préexiste aux professionnels participant à l'analyse de leurs pratiques. Il s'agit de leur faire bénéficier d'un tiers expert sur des dimensions précises de leurs activités.
L'objectif, le contenu, le territoire des pratiques « supervisables », les feedbacks du superviseur aux professionnels, le rapport à l'autorité du superviseur, sont balisés et déterminent le dispositif d'analyse des pratiques des professionnels.
Si le contrat avec le groupe est clair et convient à tous, l'opportunité du dispositif d'analyse des pratiques encadré par un superviseur-expert, est validée [1].
Un superviseur-expert serait en quelque sorte un super-professionnel, un expert d'une profession, d'un milieu ou d'un champ disciplinaire, ayant à la fois suffisamment expérimenté et pensé de situations professionnelles, d'obstacles et de solutions, et développer une posture de transmission ou d'accompagnement à leurs propos.
Il participe alors à la formation des professionnels, leur permettant d'accéder, de comprendre et d'appliquer des sciences, théories et techniques en rapport avec leur travail et leurs pratiques.
Il permet de développer entre autres, une conscience élargie des enjeux et de réaliser des apprentissages correspondants.
Ce superviseur-expert accompagne les professionnels à propos de questions et pratiques où ces derniers sont soit fortement dépendants, soit capables de se diriger eux-mêmes à partir des indications et étayages réalisés.
Ce type de superviseur parait particulièrement adapté :
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À des professionnels débutants. Par exemples : un expert en soins infirmiers ou des pratiques de soins dans un contexte particulier pour des infirmières en formation initiale ou débutantes dans ce contexte ; un directeur chevronné pour des directeurs débutants
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À des professionnels experts. Par exemples : un expert en didactique professionnelle pour des professionnels axant leur travail sur le développement de compétences ; un médecin cardiologue ayant développé des techniques d'intervention chirurgicale novatrices auprès d'autres cardiologues
Pour autant, dans de nombreux contextes, ces superviseur-experts peuvent ne pas correspondre aux besoins réels des professionnels, nécessitant moins des étayages et techniques qu'un accompagnement et un renforcement de leurs postures et pratiques. Des insatisfactions et pénibilités s'expriment alors chez les professionnels à l'égard de ces superviseurs qui les contraignent à aller et rester sur le territoire de leur expertise.
2. Un superviseur-éducateur, au service d'une liberté
Ce superviseur n'est pas éducateur au sens d'une profession, comme j'ai pu l'être précédemment moi-même.
Il est éducateur dans sa posture et sa pratique, en se faisant guide, soutien, support, sur le projet et les besoins d'autrui et du groupe d'analyse des pratiques. Il les accompagne sur leur chemin.
Son expertise réside dans l'accompagnement des professionnels, du cheminement et de ses obstacles.
À la distinction du dispositif d'analyse des pratiques encadré par un superviseur-expert, l'objectif ici est de créer et garantir un climat de liberté réelle avec tous. Le contenu des séances est déterminé avec les professionnels. Le territoire des pratiques supervisables et de ce qui les influence est donc vaste.
L'accompagnement par un superviseur-éducateur parait particulièrement opportun lorsque les dimensions de formation et d'étayage extérieurs à soi ne suffisent plus et que les professionnels souhaitent ou ont besoin d'être reconnus et soutenus afin de réussir leur mandat dans des contextes qui peuvent être difficiles, moins balisés, plus délicats.
Apparaît alors une gradation des réalités et des besoins des professionnels à laquelle correspond une complémentarité entre les deux types de superviseur.
La qualité première d'un superviseur-éducateur se fonde sur son vécu transformé en expérience. Cette expérience est irremplaçable. C'est elle qui fait principalement cadre. C'est son territoire qui le rend disponible aux territoires des autres.
Son leadership est démocratique.
Un superviseur-éducateur s'attache à créer et stimuler les liens avec et entre tous, afin de soutenir chacun dans ses besoins réels. Il construit avec tous un climat de liberté et de sécurité suffisantes dans l'instance d'analyse des pratiques professionnelles.
Un superviseur-éducateur ne saurait être seulement un professionnel d'un savoir acquis. Il ne fonde pas sa légitimité sur un savoir ou un diplôme universitaire ou disciplinaire. Il peut néanmoins disposer de différents savoirs ou expertises, reconnus comme un plus, un ancrage, une boussole.
Considérant le propos de C.G. Jung « on ne peut prétendre aider un autre que jusqu'où on est allé pour soi-même », un superviseur-éducateur s'appuie sur son expérience de vie, soutenue par une expérience et une connaissance ancrées d'un processus de « soin », de renforcement et de transformation.
Ce qui le caractérise c'est le fait qu'il ait expérimenté suffisamment pour lui-même et avec d'autres ce travail sur les deux dimensions de l'être, extérieure et intérieure.
Il reconnait et accompagne donc les pratiques et conduites extérieures et intérieures des professionnels. Pour autant, il sait, pour le connaitre en lui, que les pratiques et conduites intérieures sont premières et conditionnent les autres.
Ainsi, il connait suffisamment le risque et la persistance du doute, de la confusion, du repli, du jugement de soi et des autres, ainsi que le chemin renouvelé de l'empathie à soi, des ajustements, renforcements et transformations. Il œuvre à créer un environnement favorable à ceux-ci, avec tous.
Et puisque ce cheminement, avec témoins, vers les pratiques et conduites intérieures peut être impopulaire, vu comme effrayant et ardu, et mobiliser des « vieux réflexes » de protection [2] chez les professionnels, le superviseur-éducateur reconnait et accompagne les obstacles, empêchements, troubles, rigidités à soi, aux autres, au lien, à l'objectif, Etc.
Il considère que le danger ne réside pas dans la découverte de soi, d'un soi véritable, plus totale, dans ses forces et vulnérabilités, mais dans une pratique paralysée, manipulée par ses propres filtres intérieurs que l'on ne veut pas voir et qui s'imposent à nous, de l'extérieur, dans le lien aux autres.
Il reconnait la capacité et les ressources de chacun mais aussi leurs empêchements. Il ne cherche donc pas à créer ou favoriser des pratiques parfaites, mais bel et bien des pratiques plus totales, qui reconnaissent mieux la réalité dans ses multiples dimensions.
En ce sens, sa posture vise à être celle du guérisseur blessé telle que la nommée C.G. Jung.
Il se sait guérisseur dans sa responsabilité professionnelle. Dans l'instance d'analyse des pratiques, il soigne le lien, un malaise, une gêne, une souffrance, un trouble, une démotivation, qui empêche des professionnels de réussir suffisamment leurs missions.
Ce qui lui permet d'exercer cette fonction avec empathie c'est cette reconnaissance de ses propres blessures (il est et reste blessé, sensible, vulnérable), ce qui l'amène à considérer les blessures d'autrui.
Dans la conception d'un superviseur-éducateur (ou rééducateur devrais-je dire), « se soigner, c'est conserver un lien avec sa blessure tout en l'empêchant de nuire » (Jung). Il n'y a donc pas de perfection recherchée et attendue ni du côté des professionnels, ni du côté du superviseur.
La santé impose de connaitre la maladie. Vivre implique l'épreuve. Le lien nous fait connaitre l'obstacle. La guérison suppose de connaitre ses blessures, et de mobiliser certes un médecin extérieur à soi mais aussi « son médecin intérieur » (Jung).
Cette posture de guérisseur blessé détermine donc son rapport à autrui en termes d'autorité. Ce guérisseur blessé se sait singulier dans sa fonction auprès des professionnels mais aussi semblable à ces derniers dans son humanité et son potentiel.
Ainsi, avec les professionnels, il se rend présent, travaille et œuvre dans l'instant, formule ses intuitions et accompagne chacun dans sa spécificité, dans la singularité du moment.
Un superviseur-éducateur ne cherche pas à analyser les pratiques des professionnels selon ce qui devrait être une bonne pratique, en rapport avec un savoir ou une technique.
Il accompagne ces professionnels dans une compréhension plus totale et moins manipulée de leurs pratiques, ainsi que la réalisation d'un renforcement réaliste, stimulant un retour à l'action.
Là où un éducateur peut être suffisant et bon en mobilisant un bon sens, une intelligence relationnelle intuitive ; (ou/et) une expérience de la vie et du territoire ; (ou/et) des savoirs mobilisables dans l'exercice de sa fonction,
Là où un superviseur peut être soutenant par la mobilisation d'une expertise au service de l'analyse des pratiques professionnelles,
Un superviseur-éducateur suffisamment bon doit, selon moi, réunir ces trois conditions :
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La connaissance et l'expérience ancrées d'un processus favorable à l'empathie, à la liberté, à l'engagement, au soin, ainsi qu'à la reconnaissance de la réalité
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Une expérience significative de la vie, de ses opportunités, conditions, obstacles et épreuves
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Des connaissances, références, expertises mobilisables et opportunes
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Et je rajouterais cette quatrième condition : un réel goût des autres, de la vie et de toutes ses dimensions !
Des malentendus peuvent exister et persister dans des groupes d'analyse des pratiques professionnelles lorsqu'un groupe souhaite un superviseur-expert puis le sollicite comme éducateur, ou inversement. Le superviseur lui-même peut osciller, parfois avec inconfort, entre une expertise et une pratique plus éducative. La constitution du groupe d'analyse des pratiques entre tous est à ce titre fondamentale [3].
Cet essai de définition des types de superviseur au service des professionnels, des équipes et des institutions, est le produit d'un vécu professionnel supervisé, en tant qu'éducateur spécialisé, et d'une expérience répétée de la fonction de superviseur en analyse des pratiques auprès de cadres et d'équipes depuis 12 ans.
Il est aussi largement déterminé par mon cursus et ma pratique actuelle d'intervenant en Thérapie Sociale qui me rend particulièrement sensible à la posture de superviseur-éducateur telle que je l'ai précisée.
« Ce superviseur-éducateur, c'est moi », devrais-je dire ! En tout cas, je m'y engage et m'y entraine.
Jérome Voisin, I-CARE FRANCE, intervenant en Thérapie Sociale TST
Photos : Shutterstock
[1] Voir article « Quelles sont les conditions favorables à l'analyse des pratiques professionnelles ? » ; Jérome Voisin ; 01-2019
[2] Voir article « Analyse des pratiques professionnelles : Être reconnu et accompagner dans sa réalité » ; Jérome Voisin ; 01-2019
[3] Voir article « Construire un groupe d'analyse des pratiques professionnelles » ; Jérome Voisin ; 01-2019



