

article: "Régulation d'équipe : libérer la coopération" (2/3)

Libérer la coopération de ses obstacles : dire et (se) reconnaître
Si le lien entre les gens est souffrant, ce qui produit de la violence, il s’agit d’abord de s’occuper du lien et du climat dans lequel se réalisent ces liens.
Bien sûr nous nous réunissons et engageons ce travail pour aborder et transformer leurs points de tension, leurs souffrances et violences dans le groupe.
Pour réussir véritablement ce travail, j’ai à créer des conditions suffisamment favorables.
Je les rencontre et valorise un cadre de travail où tous les gens pourront dire et mieux se parler de ce qu’ils vivent, comment ils le vivent (colère, fatigue, tristesse, désespoir, …), ce qu’ils savent et comprennent afin de développer dans le groupe des compétences à mieux (re)connaitre les difficultés et mieux trouver les améliorations et solutions opportunes.
Ma volonté est de soutenir l’expression de chacun et des dialogues entre tous, permettant de mieux exister, dire ce qui fait violence et comprendre pourquoi il y a de la violence, qu’est ce qu’on repère comme manque dans les liens, pourquoi c’est important pour nous, … en suscitant entre autres l’expérience émotionnelle et intime de chacun.
Puis je m’intéresse à eux et favorise l’expression du négatif. Je soutiens et accompagne les expressions des envies, volontés, mais aussi des démotivations, doutes, soupçons, craintes et jugements de chacun en rapport avec les objectifs annoncés (expressions et ressentis dans lesquels résident leurs motivations véritables, leurs besoins et leur adhésion réelle).
Je dialogue alors avec chacun, avec la détermination que chaque membre du groupe sente qu’il peut réellement exister ici et qu’il a un intérêt situé à participer à ce travail. L’expression du négatif permet d’entendre ce que les gens veulent, ce qu’ils ne veulent pas, ainsi que leurs besoins pour s’engager. L’expression de tous, dialoguée avec moi créée un premier événement favorable à la confiance.
Quand ces dialogues ont lieu, le climat de travail se modifie sensiblement.
Les gens savent qu’ils ont tous réellement une place dans ce groupe et que nous pouvons parler de ce qui nous gêne, nous fâche, nous heurte dans les liens entre collègues et les coopérations au travail. Un professionnel va pouvoir dire ce qui le rend triste quand il est interpellé avec déconsidération par son chef, mais aussi quand ses collègues ne réagissent pas. Il va pouvoir déposer ici sa tristesse mais aussi mieux comprendre, avec les autres, ce qui se joue pour lui dans ce type de situations. Il va aussi aider d’autres, en le faisant, à mieux comprendre ce qu’ils traversent, pourquoi et comment ils peinent collectivement à limiter la violence.
Les gens ont d’abord besoin de ce cadre plus sécurisé et centré, permettant de libérer la parole et les ressentis.
Et puisque tous ont ce besoin au début, il est nécessaire de distinguer des espaces en fonction des réalités du collectif.
Si le point de crispation principal (qui motive la régulation) se situe entre deux services, chaque service doit pouvoir dans un premier temps bénéficier d’un espace dédié. Si dans une institution, la régulation porte sur les relations entre l’équipe psycho-socio-éducative et les cadres, deux espaces doivent organiser la première phase de régulation.
« Mais dans mon expérience, même quand les chefs sont en cause, ils ne se saisissent pas de cette offre de retour sur soi, de ces espaces pour penser leurs responsabilités. Ils font comme si seuls les agents étaient en grande souffrance, en difficulté et comme si ceux-ci étaient les seuls responsables, coupables des difficultés. Ce sont les agents qui ont un problème. Ils organisent alors une régulation pour l’équipe. Leur participation n’est même pas interrogée. Et cela limite les effets de la régulation. Il y a soit une hypocrisie soit un non-sens. » (Propos d’une professionnelle, recueilli en formation)
En effet, plus on agit avec tous, plus les transformations sont réalistes, opportunes et ancrées.
Quand les tensions et crispations sont vives, les diabolisations des uns envers les autres peuvent prendre beaucoup de place. Comment des cadres peuvent envisager de participer à un espace de régulation où ils savent qu’ils représentent pour certains, voire tous, la figure du mal ?
S’ils doivent préserver leurs rôles et fonctions dans l’équipe, ils préfèrent taire leurs ressentis et s’abstenir de participer à ces espaces jugés trop dangereux, au risque de les subir et de montrer malgré eux leur violence ou leur vulnérabilité.
De plus, dans de nombreuses institutions, il y a une survalorisation d’une posture de manager distanciée, désaffectivée qui modélise et empêche toute implication dans des espaces plus émotionnels.
Comme nous l’avons vu, l’offre de régulation ne tient que rarement compte de ces réalités.
Il est encore souvent demandé aux cadres, soit de ne pas participer (c’est limitant mais c’est presque mieux, si les conditions ne sont pas réunies), soit de participer directement avec leurs équipes, en créant un impossible. En effet, il n’est pas souhaitable qu’un responsable hiérarchique parle ouvertement de ses émotions, de ses blessures, de ses responsabilités, devant un groupe au sein duquel existent des « snipers », c’est-à-dire des gens pris dans un désir ou un projet de blesser, d’attaquer, de se venger, de détruire leur chef ou leur institution à travers lui.
Construire des espaces dédiés, distincts, n’a pas volonté à simplifier ou nier la réalité. Ce dispositif a vocation à soutenir les professionnels dans leur coopération.
Je dois leur permettre de réussir une transformation suffisante de leurs relations et du climat de travail collectif en intégrant la réalité.
Des éléments peuvent nous empêcher si on leur laisse prendre trop de place au départ : si les deux services en question sont en « en état de guerre », agissent en clans ; si les cadres ne peuvent pas exprimer leurs ressentis, ce qui les touche, reconnaître leurs violences sans être attaqués ou discrédités en tant qu’autorité.
Dans ces conditions, il est préférable pour ne pas dire incontournable d’organiser deux espaces distincts de parole suffisamment libre.
Si nous ne distinguons pas ces espaces, nous allons retrouver ce que j’ai cité plus haut (cf. article « réinitier une coopération », 1/3). Des gens vont avoir très peur, d’autres vont faire comme s’ils étaient à l’aise, d’autres vont attaquer, d’autres vont garder silence, … Toutes ces attitudes ne sont en fait que des masques qui nous informent sur le fait qu’il manque à tous un espace plus sécurisé.
Il s’agit donc de faire baisser ces masques en intensité, de créer un climat où la parole suffisamment libre est accessible, entre pairs, et où les victimisations de départ ne sont pas radicalement opposées.
Pour que ces espaces soient véritablement des lieux de régulation des liens et le mieux profitable à tous, ainsi qu’à l’organisation :
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Ils doivent bénéficier au plus grand nombre, à tous les protagonistes en rapport avec les liens souffrant et le manque de coopération (toute fonction, rapport hiérarchique compris).
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Et ils doivent garantir à tous une liberté, une possibilité de pouvoir tout dire, en limitant les craintes d’être agressé, jugé, rejeté ou culpabilisé.
Jérome Voisin
Intervenant en Thérapie Sociale