

article: "Régulation d'équipe : mieux réussir nos coopérations" (3/3)

Mieux réussir nos coopérations : faire avec la réalité et développer une créativité collective
Pour que ces espaces soient véritablement des lieux de régulation des liens et le mieux profitable à tous, ainsi qu’à l’organisation :
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Ils doivent bénéficier au plus grand nombre, à tous les protagonistes en rapport avec les liens souffrant et le manque de coopération (toute fonction, rapport hiérarchique compris).
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Et ils doivent garantir à tous une liberté, une possibilité de pouvoir tout dire, en limitant les craintes d’être agressé, jugé, rejeté ou culpabilisé.
Suite à la première phase, j’ai à cadrer et favoriser la rencontre de tous (les deux services ; ou l’équipe et leurs cadres).
Les gens n’ont alors généralement pas besoin de reparler de l’émotionnel, de la souffrance, des visions du problème, de la violence tel qu’ils l’ont abordé dans leurs groupes distincts. Ils ne sont pas là pour répéter ce qu’ils ont vu et traité chacun de leur côté. Ils en sont d’accord et veulent autre chose.
Je les réunis quand ils sont prêts, c’est-à-dire quand ils ont pu suffisamment déposer leurs victimisations, leurs ressentiments, voir et reconnaître leurs souffrances et violences (ou tentations de la violence), et quand nous sentons de nouveau un possible avec les autres. Ce rapprochement se réalise généralement après 4 à 5 séances dédiées.
Ce sont les gens qui donnent le ton de leurs rencontres avec les autres. Autrement dit, quand ils sont prêts, ils projettent et précisent ce qu’ils veulent mieux réussir avec les autres.
Nous pourrions résumer leurs nouveaux objectifs par « mieux se parler et trouver des solutions concrètes ».
Mon travail consiste à soutenir ces ambitions, voir avec eux l’opportunité et le réalisme de celles-ci et des étapes nécessaires pour y parvenir, déterminer comment rythmer ces journées pour que ces paroles et échanges aient lieu (en limitant le recours à la violence et en gérant le risque permanent de son usage), et accompagner (cadrer et animer) leur mise en œuvre afin qu’elles se réalisent entre tous, avec valorisation et sécurité.
Malgré les motivations annoncées des gens à se fréquenter et dialoguer lors des journées en grand groupe, ceux-ci peuvent légitimement être repris par des craintes de revivre du pénible, des doutes de ne pas arriver à des rapports suffisamment construits, des soupçons que l’un ou l’autre ne va pas « jouer le jeu », …
Il s’agit donc de continuer de s’intéresser à ce qui pourrait empêcher les uns et les autres de réussir le pas suivant.
Au départ du grand groupe, j’incarne un cadre ferme et valorisant visant à sécuriser les premiers échanges afin que chacun fasse l’expérience du lien et de la motivation de tous.
Quelle que soit la taille du groupe, il y a certes le cadre que je présente en début de journée et que j’incarne par ma présence et mes interactions tout au long de celle-ci, mais il y a aussi un processus qui va permettre aux gens de vérifier et porter mieux collectivement ce cadre.
Pour diminuer les craintes, doutes ou soupçons à l’œuvre dans le groupe, je suscite « rapidement » des rencontres entre tous afin de créer une première proximité réussie et ainsi diminuer les images que certains peuvent se faire d’autres ou de la situation.
Toutes ces journées sont rythmées par des « exercices » et des thèmes favorisant des rencontres et des dialogues débriefés, commentés, élaborés entre tous et particulièrement entre celles et ceux qui sont les plus éloignés.
A partir de leurs ressentis, ils disent là où ils en sont dans ce processus. Ils parlent de leurs responsabilités, de leurs ressources au service du groupe mais aussi de leurs tendances face au difficile et à la violence. Ils disent de ce qu’ils sont, de ce qu’ils savent et comprennent qui fait problème, qui manque au collectif ou à certaines relations. Puis ils déterminent des pistes et propositions d’amélioration relationnelles et organisationnelles qui sont dialoguées, confrontées afin d’apprécier si elles paraissent accessibles et stimulantes pour le groupe.
La tenue de ces journées où les gens se parlent, se montrent, élaborent ensemble, diminue les images négatives des uns envers les autres et les tentations de la violence, favorise des liens nouveaux plus francs au sein desquels des désaccords peuvent être nommés sans convoquer de suite la violence, et recrée des relations et un climat assainis, plus nuancés, où les gens sont entraînés à parler et déterminer collectivement des moyens de dépasser leurs difficultés.
Tout résoudre n’est pas l’objectif. Selon les contextes, des groupes construiront plus vite et iront plus loin que d’autres. Ces autres seront traversés de nouveau par des tensions et des empêchements auxquels ils répondront avec moins de réactivité, moins de violence, de logiques claniques, de diabolisation.
Dans ces espaces, je m’attache à garantir à chacun d’être vu dans sa difficulté, sa pénibilité, d’être reconnu dans ses ressources, de distinguer attentes et réalité, et de trouver collectivement des solutions ou des aménagements pour faire croître la coopération ou diminuer les souffrances et violences. Les gens vivent et intègrent pour eux-mêmes et avec les autres une coopération nouvelle et plus réaliste, valorisant leurs aptitudes et leurs limites, leurs rôles et leurs sensibilités, la nécessité du conflit et l’usage de la violence dans la vie relationnelle et institutionnelle.
« Votre intervention a été salutaire pour notre équipe, elle nous a permis de prendre conscience des difficultés de chaque professionnel, et je n'ose imaginer dans quel marasme on aurait sombré sans votre concours. Nous n'avons pas pour autant tout résolu, loin de là (tel n'était pas l'objectif) mais nous avons réalisé ce qui se jouait malgré nous et à notre insu et cela est vraiment inestimable. Les médias utilisés ont rendu compte de la complexité des enjeux dans la relation à l'autre. Aujourd'hui, nous sommes sereins car nous avons clarifié notre part et la part de l'autre. Les choses restent difficiles mais avec moins de confusion et moins de souffrance. » (Évaluation individuelle suite à une régulation d’équipe)
« Votre intervention m'a paru intéressante sur plusieurs points, notamment de permettre à chacun un espace d'écoute afin de déposer sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas et d'évoquer ses souffrances. En somme, un lieu de "défoulement" pour ne pas que cela explose…dans le service, avec votre réelle écoute et votre bienveillance. Ainsi, chaque membre de l'équipe a parlé de sa place, là où il en était. Du coup cela a permis de se rendre compte de l'état de chacun. Ce travail a permis d'apaiser certaines tensions et finalement de dire et nommer ce qui ne va pas. Les journées regroupant l'équipe et le directeur ont vraiment permis un éclairage de ce que l'on peut apporter dans une équipe ou au contraire ce qui peut la desservir. J’ai pu me rendre compte que chaque agent se protégeait de façon différente. C’est la première fois, qu'entre nous il a été possible d’évoquer nos atouts et sur ce qui pouvait déranger l'autre. Dire simplement comment les autres nous percevaient…Le directeur a pu dire ce qu'il attendait aussi de nous, j'ai compris qu'il avait besoin de prendre sa place. L'ambiance a été sereine et l'échange a été possible grâce à des médias. Il reste que l'humain est ce qu'il est avec ses forces, ses limites, ses faiblesses et sur ce qu'il peut nous renvoyer dans la relation … (directeur et agent). On ne peut pas tout changer et les prises de tête ne peuvent être évitées mais chacun a à l'esprit le travail que nous avons fait ensemble. Merci » (Évaluation individuelle suite à une régulation d’équipe)
Jérome Voisin
Intervenant en Thérapie Sociale